Le carnaval est un ensemble festif de pratiques et de rites populaires célébrant le passage d’une saison à une autre et le renouveau de la nature. C’est aussi, et surtout, une période de contestations et de remise en question de l’ordre établi dans la société qui le pratique. Elle ouvre une parenthèse dans laquelle débordements, défoulements et transgressions sont tolérés par les autorités.
Derrière le terme « carnaval » on trouve tout un ensemble de pratiques vivantes de par le monde. Ses formes évoluent d'une région à l'autre, mais également d'une époque à l'autre, en fonction des tensions internes et politiques qui en constituent le contexte. Si les traits généraux sont conservés, les principes de la fête sont souvent repris et adaptés aux réalités locales, passant alors au travers du prisme d'une culture et d'une langue.
Les carnavals occitans, présentent de nombreux traits communs aux carnavals du Nord de la France et du reste de l'Europe. Ils s’inscrivent dans le cycle des festivités populaires entre Noël et Carême en marquant symboliquement la fin de l’hiver. Leur date et leur durée fluctuent selon les époques et les régions (épiphanie, 2 février, 3 février, etc.). Elles précèdent généralement la période de Carême, dans un jeu d’opposition entre débordements et pénitences, gras et maigre, etc. Pendant carnaval, les inversions de toutes sortes (de sexes, de classes, voire même d’espèce), le port de masques et autres travestissements envahissent l’espace public. Cette pratique communautaire possède néanmoins des règles, des commémorations et des rites qui lui sont propres. Au sein du cortège on retrouve un grand nombre de personnages autour de la figure-clé de Carnaval, tels que les hommes sauvages et les jugements de cocus (assoadas, ou asinadas). Ils portent principalement et traditionnellement des noms occitans renvoyant fréquemment à leur fonction au sein du cortège. Carnaval lui-même est affublé de différents noms en fonction des lieux comme par exemple « Bourrache Ier roi des buveurs » (à Canet-d'Aude en 1955), « Sent Pançard » dans le sud de la Gascogne, ou encore « Caramentrant » en Provence.
Le temps de la fête se finit invariablement par le jugement du Roi Carnaval, tenu collectivement et encore souvent écrit et interprété en occitan, et son immolation. Ces jugements constituent un moment-clé des fêtes, et l'une des principales sources d'inquiétudes des autorités en place. En effet, ils servent de tribune pour la population, pouvant ainsi exprimer son mécontentement. Carnaval est accusé de tous les maux soufferts, de tous les malheurs traversés au cours de l'année écoulée. Fêté, adoré jusque-là par les participants, Carnaval devient dès lors le bouc-émissaire sur qui se déversent toutes les frustrations.
Le temps du carnaval, la fête, la licence, le défoulement dans l'espace public sont tolérés, y compris les masques et autres travestissements. Par ces attributs les Hommes explorent leur part animale. Hommes sauvages, paillasses, « pétassons », ours, sont autant de costumes fréquents dans les cortèges occitans. Les masques de carnaval y ajoutent l'anonymat et accentuent l'aspect grotesque. Temps de remise en cause et d'inversion, carnaval conserve encore ses origines païennes et sa fonction sociale au travers de ces diverses pratiques, celles-ci ayant toutefois quelque peu perdu leur dimension symbolique.
Chansons et danses en occitan viennent rythmer les festivités du carnaval : « Dimars gras qu'a nau porcàs », « Adieu paure carnaval », « Carnaval es arribat », « Joan petit », ou la danse des soufflets. Celles-ci présentent une certaine récurrence sur tout le territoire occitan au cours de la période de carnaval. Par exemple la chanson « Adieu paure Carnaval » accompagne le roi des festivités lors de son dernier voyage.
Les danses proposées sont fréquemment satiriques, parfois licencieuses, mettant fréquemment en scène des couples, et principalement des jeunes gens. Un grand nombre de danses se sont ainsi développées autour des festivités de carnaval, parfois spécifiques à une région, et s'appuyant sur des formes pré-existantes ou en créant de nouvelles.
Les jugements, fictifs, adaptés de fêtes en fêtes, rédigés traditionnellement en occitan en amont de leur interprétation, constituent une tribune pour la population, pouvant ainsi exprimer son mécontentement.
Pastorales, jugements, et cortèges sont intéressants d'un point de vue culturel et patrimonial pour différents aspects (évolution de la langue à diverses époques, mise en scène de personnages issus du folklore et de mythes locaux...) qui sont autant de témoignages des spécificités du carnaval en Occitanie.
Répétés d'année en année, les textes, tout particulièrement dans le cas des jugements, sont adaptés au contexte particulier, politique et économique, de l'année de leur rédaction.
Les textes de carnaval, notamment ceux des jugements, sont conservés, repris et adaptés d’une année sur l’autre selon le contexte politique et économique de l'année. Ils constituent donc de véritables sources de connaissance.
Peu de certitudes existent quant aux origines réelles de carnaval. De par ses caractéristiques (célébration du passage d'une saison à l'autre, les inversions, les débordements tolérés par les autorités etc.) certains auteurs le comparent aux Saturnales romaines, fêtes se déroulant en décembre au cours desquelles les esclaves prenaient la place de leurs maîtres.
D'un autre côté, l'historienne Anne Lombard-Jourdan explore la piste gauloise du dieu Kernunnos, relevant notamment l'existence d'un mythe ancien mettant à l'honneur la figure symbolique du cerf, perdant ses bois au mois de février pour mieux les renouveler en un plus beau ramage.
Même l'étymologie du terme « carnaval » reste aujourd'hui encore source de questionnement.
On peut en trouver trace en France dès 1268, sous la forme de quarnivalle. Ce n'est qu'aux alentours du XVIe siècle, que cette expression, fruit de la tradition orale, prend la forme que nous lui connaissons actuellement.
Souvent citée, il semble que la piste latine faisant de carnaval le dérivé de carnelevare (mot latin formé de carne, « chair » et levare, « ôter », qui signifie littéralement entrer en carême) soit le fruit d'une construction postérieure au Xe siècle, date communément admise pour son apparition. En forgeant une étymologie en rapport avec le Carême, l'Église entérinait ainsi son intention de récupérer une cérémonie païenne, en la plaçant sous la dépendance du Carême.
Les débordements accompagnant les festivités de carnaval furent très tôt une source d'inquiétude pour les autorités, religieuses comme civiles, qui voyaient en celles-ci des risques potentiels pour leur autorité. Elles tentèrent d'y mettre un frein à défaut de pouvoir supprimer une fête si populaire, et furent progressivement rejointes par l'État qui vit dans les cortèges et jugements de Carnaval, un danger réel.
Au tournant de la Renaissance, ces derniers prennent effectivement un tour plus politique et les incidents se multiplient (Sarlat, 1574, Romans, 1580), entraînant la réaction des autorités. Ainsi au XVIe siècle de nombreux décrets sont édictés limitant les libertés autrefois accordées au cours de cette période.
Les XVIIe et XVIIIe siècles accentuent la part de révolte contenue dans le langage carnavalesque nourrissant en retour une méfiance toujours accrue des pouvoirs politiques. Il en sera ainsi au cours des siècles suivants, sans toutefois jamais mettre à bas complètement les festivités de carnaval.
Ainsi, en dépit des atteintes politiques, et malgré la parenthèse des conflits armés de 1914-1918 et de 1939-1945, carnaval retrouve au lendemain de la Seconde Guerre mondiale un second souffle, et constitue aujourd'hui encore un temps fort à la veille du printemps.
Les années 60-70 réconcilient la fête et la politique et aujourd'hui encore, le théâtre occitan contemporain puise une part de son inspiration dans les formes traditionnelles du carnaval.
Le carnaval est une pratique bien vivante, en Occitanie comme dans le reste du monde, qui évolue selon les époques et les lieux de sa pratique. Réinventant constamment ses formes en s'appuyant sur un héritage qui lui est propre, et s'adaptant à la société dans laquelle il se développe, il est tel un miroir déformant de la société. Il demeure un temps à part, une parenthèse de défoulement et de fête à la sortie de l'hiver.
Aujourd’hui certains carnavals, notamment occitans, sont inscrits à l’Inventaire du Patrimoine culturel immatériel en France.
Si carnaval reste une fête populaire il est aujourd’hui souvent organisé et encadré par des associations locales comme les comités des fêtes par exemple ou encore les écoles.
En domaine occitan le mouvement des écoles Calandretas est aussi un acteur majeur des nouveaux carnavals occitans.
Enfin dans certaines villes, comme à Limoux, il existe une entité spécifique en charge de l’organisation du carnaval.