Marguerite Genès, institutrice à Brive-la-Gaillarde (Limousin, Corrèze), fut une des actrices importantes du développement d'un félibrige limousin autour de l'action de l'abbé Joseph Roux (1834-1905).
Née à Marseille le 26 janvier 1868, fille de Louise Delort de la Flotte, issue de l'aristocratie corrézienne, et d'un certain Henri Genès qu'elle semble n'avoir pas connu, elle arrive à un jeune âge à Brive-la-Gaillarde, berceau de sa famille maternelle. Elle quitte la Corrèze pour poursuivre ses études supérieures à Paris et revient vers 1890 à Brive, où elle enseigne le français dans une institution privée.
Marguerite Genès publie des textes poétiques, des pièces de théâtre et des études littéraires et de folklore limousin dans Lemouzi, « organe mensuel de l'école limousine félibréenne »1,dès les premières livraisons. Ses études d'ethnographie limousine paraissent également dans L'Écho de la Corrèze et la revue mensuelle La Ruche corrézienne des Limousins de Paris.
Reconnue localement pour ses capacités littéraires comme pour sa connaissance de l'occitan limousin – elle est nommée « maître en gai savoir du Limousin », elle est également enregistrée en août 1913 par Ferdinand Brunot lors de la campagne de collecte sonore des « Archives de la parole » (1911-1914) –, son œuvre sera cependant peu diffusée en dehors de sa région. Seules deux de ses pièces de théâtre seront publiées en monographie : Lous Francimans (Les Francimands), comédie en deux actes (Marguerite Genès et Eusèbe Bombal. Brive, impr. catholique, 48p.) en 1924, et les Leis d’Amor (Les Lois d’Amour), un acte en vers (Marguerite Genès et Mathylde Peyre. Brive, impr. de Chartrusse, Praudel et Cie, 32p. et musique) en 1944.
Marguerite Genès tient un carnet régulier pendant toute la durée de la guerre de 1914-1918 durant laquelle elle est infirmière bénévole. Conservés aux archives municipales de Brive-la-Gaillarde, ces manuscrits inédits font l'objet d'une publication électronique dans le cadre du Centenaire de la Première guerre mondiale (14-18.brive.fr).
Marguerite Genès participe au mouvement félibréen en Limousin dès ses débuts en 1893 en adhérant à l'escolo Bertran de Born, première école félibréenne créée dans la région, et qui constitue avec la revue de l'escolo, Lemouzi, le foyer de la renaissance d'oc en Limousin. Elle participe dès 1894 à la renaissance des jeux floraux du Limousin, les Jeux de l’Églantine où elle figure parmi les premiers lauréats du prix et est proclamée « Reine du félibrige limousin ». La même année, elle reçoit le titre de « mainteneur-suppléant » de M. Charles Teyssier.
Auteur de pièces de théâtre, elle anime la société théâtrale de l'Escolo Bertran de Born, « la Ménestrandie ».
1/ Margareta Genès : Mestresso en Gai-Sabé, carte postale à son effigie appartenant à la collection "A cadun sa part".
2/ Archives de la parole, enregistrement sonore de Marguerite Genès
3/ Carnets de guerre publiés sur le site 14-18.brive.fr par les Archives municipales de Brive.
1Sous-titre de la revue de 1893 à 1895 où elle devient, « organe mensuel de la fédération provinciale des écoles félibréennes du Limousin et de la Ruche corrézienne du Paris ».
Antoine Roux (Lunel-Viel, Hérault, 13 novembre, 1842, Lunel-Viel, 11 janvier 1915) était un vétérinaire qui a mené une carrière politique de notable dans sa ville natale. Membre du Félibrige latin, il composa de nombreux poèmes d'inspiration bucolique exaltant l'amour du terroir ainsi que des pièces de théâtre. Ses œuvres majeures restent deux recueils d'inspiration villageoise, La cansoun dau Dardailhoun (1896) – un volume de 350 pages dans lequel le félibre chante toute la région qui s'étend des Cévennes à la mer et depuis les Saintes-Maries jusqu'à Montpellier – et les Pescalunetas (1912).
Fils d'un maréchal-ferrant et petit propriétaire, l'écolier Antoine Roux suit assidûment l'école du village jusqu'à l'âge de treize ans. Ayant des aptitudes pour le travail intellectuel, son père l'envoie dans un pensionnat de Montpellier, où il se découvre une merveilleuse facilité à apprendre les vers de Corneille et de Racine. À 17 ans, il passe d’une institution libre de Montpellier à l'école vétérinaire de Lyon. Pour ce jeune étudiant enivré de la lumière du Midi, c'est un exil que ce départ pour les brumes de la Saône et du Rhône. Il retourne dans son village natal à 21 ans. Étroitement lié au monde agricole lunellois, il fait partie, pendant 20 ans, du Conseil municipal de Lunel-Viel. En 1870, il est nommé adjoint, puis maire en 1878. Il démissionne un an après, le 23 février 1879, ayant tout à tour éprouvé les joies et les déboires de la vie publique. Au décès d'Auguste Malinas en 1873, il avait été envoyé au Conseil Général par les électeurs républicains du canton de Lunel, mais il n'avait pas sollicité le renouvellement de son mandat, cédant sa place à Paul Ménard-Dorian. Après cette incursion dans le domaine politique, il se livre tout entier à la littérature. Estimé de tous ses concitoyens, il s'éteint à l'âge de 72 ans. La rue principale du centre ancien de Lunel-Viel porte son nom.
C'est chez les Vidal, des parents, pharmaciens à la Croix-Rousse (Département du Rhône) qu'il se prend d'enthousiasme pour la littérature d'oc en découvrant les œuvres de l'abbé Fabre et Mirèio de Mistral. Son premier poème languedocien fut la traduction de l'Hymne de l'enfant à son réveil de Lamartine, couronnée par la Société des Langues Romanes en 1875. En 1880, il publie un poème savoureux où se trouvent esquissées les tribulations d'un officier d'état civil, Lou mera de vilage e lou véla e l'anel. Imitateur de Molière et adaptateur de Regnard, il était persuadé que le théâtre pouvait contribuer au développement de la langue d'oc. La scène du Grand Théâtre de Montpellier fait applaudir frénétiquement l'ensemble de ses œuvres, telles Lou Testament d'un Sarra-piastras (1881) ou Lous Caramans ou lous dous bessouns (1886). Son œuvre fut saluée par Frédéric Mistral, Alexandre Langlade, Roque-Ferrier et Charles de Tourtoulon. Vice-président de la société du Félibrige Latin – dont il a toujours été un des plus vaillants soutiens – Officier d'académie, c'était aussi un collaborateur de la Revue des langues romanes.
Les fables de la Fontaine ont fait l'objet de nombreuses adaptations en occitan. En voici quelques exemples :
La cigala, avia cantat,
Arrèu l'estiu empenat.
Se prenguèt la mala crampa,
Quand arribèt la cisampa.
Extrait de : Fablas de La Fontaine : 52 fablas reviradas en occitan, Marcèu Esquieu, Contes de la Doas Bocas, 2006, p. 9. Cote CAC 9125
La cigala cantèt : « criu-criu »
Tot l'estiu.
Mès, se trobèt mal plantada,
Quand cisampèt la bofada.
Extrait de : Jan de la Font : 100 fablos rebirados en lengo nostro, Félix Remize, Les Amis du Païs et L'Escolo Gabalo, 2006, p. 134. Cote CAB 4458
La cigala ajent cantat
L'estivat,
Se trobèt desprovesida
Jos la cisampa amalida,
Extrait de : Novèl pichon fablièr revirat en occitan, Crestian Mathieu, Comitat de Peirigòrd de la Lenga Occitana, , 1988, p. 1. Cote CAC 4795
Bibliographie des traductions occitanes des Fables de La Fontaine disponibles au CIRDÒC :
Fablas de La Fontaine : 52 fablas reviradas en occitan, Marcèu Esquieu, Contes de las Doas Bocas, 2006.
Jan de la Font : 100 fablos rebirados en lengo nostro, Félix Remize dit Lou Grelhet,... ; édition inédite et recueillie par Félix Buffière, Prosper Rambier et Joseph Tichit, les Amis du Païs et l'Escolo Gabalo, 2006.
Quauquas faulas de Joan de La Font chausidas e reviradas en lenga lemosina per Paul Rainal, Escòla 'Chabatz d'entrar de Lion, 2005.
Joan de La Font mai que jamai : encontres = rencontres, Alban Cazals, Grelh Roergàs, 2005.
13 Fablas de La Fontaine [Enregistrement sonore] : Òc : Reviradas en occitan, Marcèu Esquieu, Contes de las Doas Bocas, 2003.
50 fablas causidas botadas en vers gascons pre'N Joan Darreche, Princi Negre, 1996.
Fables causides de La Fontaine en bers gascouns : La cigale é l'Arroumits, transcripcion Guy Latry, Publié dans Oc, N° 36, julhet de 1995, pp. 23-24.
Novèl pichon fablièr revirat en occitan [par] Crestian Mathieu, Comitat de Peirigòrd de la Lenga Occitana, 1988.
Pichon fablièr revirat en occitan [par] Crestian Mathieu, Ed. del Cotelon-Morron : Escòla Felibrenca Rochegude, [198.?].
Fables causides de La Fontaine en bers gascouns, Limarc, 1980.
La fontaine a nostro fuont, reviraduro en lengo d'oc de quaucai fablos per l'Abat Antoni Marty, Gerbert, [1969].
Tradutçiou libro de las fablos de Moussu de Lafountaino, Josselin Gruvel, [19..?]
Chansons patoises de la région de Thiers ; suivi de Fables de La Fontaine traduites en patois de la région d'Ambert par un paysan d'Olliergues, [19..?].
Caoucos fablos en rimos bigourdanos-patouès de Bagneros de J. de La Fontaine, Nabaillet, 1899.
Fables caùsides de La Fontaine en bérs gascouns par l'Abbé Foix, Hazael Labèque, 1891.
La cigala e la fourniga : fable en vers languedociens par E. Montabré, Impr. Centrale du Midi, 1889.
Caoucos fablos en rimos bigourdanos, patouès de Bagneros de J. de La Fontaine, Impr. J. Cazenave, 1886.
Les fables de La Fontaine, trad. librement ou imitées en vers provençaux par Hippolyte Laidet, M. Lebon, 1879-1880.
Fables de Jean de La Fontaine, trad. en vers provençaux par Marius Bourrelly, A. Gueidon Remondet-Aubin, 1872-1875
Fablos caousidos de Lafountaino, libromen traduitos en patoués pyrénéen et enrichidos dous éléments de la grammairo d'aquéro lengo per Jules Portes, P. Plassot, 1857.
"La cigalo et la fournigo", dans : Roumavagi deis troubaïres, Aix, 1854.
"Lou raïnard, lou singe et les aoutros bestios", dans : Lou Bouil-Abaïsso, 14 juillet 1845.
"La cigougno et lou rinard", dans : Lou Bouil-Abaïsso, 11 mars 1842.
Fablos causidos de Jean de La Foutaino, tremudados en berses gascouns, é dediados a Soun Altesso Rouyalo Mou lou Duc d'Angoulémo per un bourdelés, M. Bergeyret lou nebout = Fables choisies de Jean de La Fontaine, mises en vers gascons, et dédiées à son Altesse Royale Mgr. le Duc d'Angoulême par un bordelais, M. Bergeret neveu, 1816.
Quelques fables choisies de La Fontaine, mises en vers patois limousin par J. Foucaud, A Limoges : chez J.-B. Bargeas, Imprimeur-libraire, An 1809.
Fables caousides dé La Fontaine : Curieuse traduction en vers patois des Fables de Lafontaine, [18..?]
Fables causides de La Fontaine en bers gascouns, Bayoune : P.F. Duhard, 1776.
Manuscrits des traductions occitanes des Fables de La Fontaine disponibles au CIRDÒC :
Fables Gascones, L'an 1773. 1 livret, 52 pages et 6 pages découpées. 110 x 170 mm. 1770-1773. Cote Ms 1167
La cigalo et la fournigo - Lou gorp et lou reinard - Lou loup et l'agnel. 1 pièce, 5 feuillets. 270 x 210 mm. 1958. Cote SAB-A-12-042
Né à Grasse le 12 mars 1927 dans une famille modeste, d’un père cannois parlant provençal et d’une mère occitanophone de Vinadio, Jean-Marie Auzias se revendiquera toujours de cette origine provençale. Il fait ses études secondaires, laïques et chrétiennes, comme il disait, au collège municipal puis, en 1945, entre en hypokhâgne au lycée du Parc à Lyon et rejoint la Jeunesse étudiante chrétienne. Très intéressé par la philosophie et l’anglais, il continue ses études dans cette voie, les élargissant à d’autres langues et à la littérature.
Professeur agrégé de lettres modernes, il enseigne la philosophie au lycée de la Martinière à Lyon, puis, de 1966 à 1992, l’anthropologie au Centre des humanités de l’Institut national des sciences appliquées de Villeurbanne et à l’Institut d’études politiques de Lyon. Sa carrière sera couronnée par l’obtention en 2002 d’une thèse de doctorat en anthropologie à l’Université Lumière Lyon 2 sur le sujet Textes fondateurs et cultures populaires : jalons pour une anthropologie littéraire.
Père de quatre enfants, il se déclare, dans sa fiche individuelle d’adhésion au club Millénaire3, attentif aux problèmes pédagogiques et se présente comme un « voyageur impénitent amoureux des langues étrangères et de l’art de tous les pays ». Membre de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon et de l’Académie rhodanienne des lettres, Jean-Marie Auzias est décédé à Lyon le 16 février 2004.
Philosophe, Auzias consacre d’abord sa réflexion aux liens entre philosophie et technique (La philosophie et les techniques, 1965 ; Clefs pour la technique, 1966), puis au structuralisme (Althusser, Lacan), au matérialisme dialectique et au marxisme (Structuralisme et marxisme, 1970). Comme on verra, il fut d’ailleurs bien plus qu’un simple « compagnon de route », comme on disait alors, du Parti communiste.
Son Clefs pour le structuralisme publié par Seghers en 1967, trois fois réédité (en 1968, 1971 et 1974), fait autorité. On ne sait peut-être pas suffisamment que Jean-Marie Auzias figure aux côtés de Michel Foucault, Jacques Lacan, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Gaston Berger et autres grands noms de la philosophie française, dans l’Histoire du structuralisme de François Dosse (2 vols, 1991-1992).
Il s’intéresse également à l’anthropologie, aux problèmes de méthodologie que pose cette discipline récemment constituée en science autonome. Au lendemain de son affectation à l’INSA, il crée en 1967 le Cercle d’anthropologie de l’INSA où il aiguisera sa réflexion avant de la formaliser dans L’Anthropologie contemporaine : expérience et système, publié aux Presses universitaires de France en 1976. Il s’interroge en particulier sur la manière dont se développe le concept de culture, la nécessaire prise en compte des spécificités régionales et de l’altérité individuelle.
Cet intérêt pour la philosophie et l’anthropologie culturelle, au croisement de l’ethnologie et de la sémiotique, ne se démentira pas puisqu’il continuera à produire des ouvrages de critique philosophique comme son Michel Foucault (1986) ou encore son Michel Serres, philosophe occitan (1992).
L’homme de lettres s’illustre d’abord en français par divers recueils de poésie et articles de critique littéraire et de critique d’art : pour ses commentaires, préfaces ou postfaces, les Luc Decaunes, Raoul Bécousse, Jean Chaudier, Christian Perroud, ceux de Visages des mots (1985) et bien d’autres, savent ce qu’ils lui doivent. Et on va retrouver cet esprit vif, brillant et incisif, avec tout le brio polémique que lui permettait sa vaste culture, jusque dans ses dernières créations romanesques, comme son Café solo (1998), « à nul autre pareil », selon Paul Gravillon, ou son faux roman policier délirant Vous trouverez jamais, c’est tout droit ! (2004), écrit en collaboration avec Bernard Frangin et préfacé par le même Paul Gravillon.
Puis il y a le traducteur. De l’anglais en occitan, avec les textes du socialiste irlandais James Connolly et du révolutionnaire écossais John MacLean dans l’ouvrage collectif Marxistes et Nacions en lucha publié par Fédérop, la maison d’édition de son ami occitaniste lyonnais Bernard Lesfargues dont il traduit en français le recueil de poèmes Cor prendre (1965). Il donne aussi, toujours avec Bernard Lesfargues, cette remarquable traduction française de la narration par l’Espagnol Álvar Núñez Cabeza de Vaca de la découverte des Indiens d’Amérique au XVIe siècle qui constitue un véritable succès de librairie réédité chez Actes Sud (Relation de voyage, 1979, 1980, 1989, 1994, 2008).
Créateur enflammé, à l’humour distancié, souvent décapant, ne dissociant pas la pensée de l’action, Jean-Marie Auzias sut également être présent dans la cité. Militant culturel et civique, comme il se définissait lui-même, il anime dès 1966 l’association Connaissance du théâtre. En 1997, il participe avec Michel Cornaton à la création du groupe autonome d’expression libre Les Neveux de Rameau et organise en ville débats et conférences1.
Et on va le rencontrer partout où son travail en anthropologie urbaine lui permet d’apporter un éclairage sur les problèmes de la ville, aux côtés des handicapés aussi bien que dans le cadre du collectif Millénaire3 du Grand Lyon où il exprime ses préoccupations concernant la cohésion sociale, la participation du citoyen, la promotion des identités contraire au repli identitaire. On le retrouve de même à interpeller le Conseil de développement sur les grands projets culturels de l’agglomération lyonnaise. Et, toujours dans son rôle d’accoucheur de réflexion, il ira jusqu’à tenir salon chez lui, des années durant, entre Saône et Rhône, où se pressait le Tout-Lyon intellectuel en enjambant les livres…
L’engagement militant de cet humaniste actif se traduit également au niveau politique. Après la JEC, il adhère en 1952 au Parti communiste dont il est exclu en 1962 pour son soutien au FLN. Il réadhère en 1974, mais quitte le Parti au milieu des années 1980 pour entrer au Grand Orient de France2. Et, simultanément, il met très tôt son sens de l’engagement au service de l’occitan, une langue reconquise qu’il qualifie pour lui-même « de remémoration et d’apprentissage ».
Au contact du Félibrige dès les années 1943-1944, il avait retrouvé le provençal l’été lors des travaux agricoles pendant sa vie d’étudiant. Par la suite, il avait rencontré Pierre Bec et Bernard Lesfargues en 1958, puis d’autres auteurs occitans, Robert Lafont, Max Rouquette, Bernard Manciet, Félix Castan, Jean Larzac, Léon Cordes, Xavier Ravier, Pierre Pessamesse, autant d'échanges qui le déterminent à écrire en oc.
Il enseigne – bénévolement – l’occitan à l’INSA et, avec Quasern grassenc (1971), renoue avec Grasse où il animera des ateliers dans le cadre des Rescòntres Internacionaus Occitans organisés par Georges Gibelin de 1978 à 1984. Et, dès lors, il participera aussi aux divers stages et rencontres de formation occitanistes, là encore animant débats et ateliers ou donnant des conférences (Escòla occitana d’estiu de Villeneuve-sur-Lot, Rescòntres occitans en Provença, universités occitanes d’été, en particulier Nîmes en 1986, 1990, 1994).
Car, dit-il, « siam militants occitanistas3 ». En 1974, il est membre de Lutte occitane et fait partie du collectif de rédaction de la revue Occitania passat e present, sous la direction de Jean-Claude Peyrolle. De 1976 à 1980, sous la présidence de Pierre Bec, il est membre du Conseil d’administration de l’Institut d’estudis occitans et, de novembre 1976 à octobre 1979, responsable du secteur « Espandiment ». Il affirme son soutien au manifeste du 27 octobre 1978, « Mon país escorjat », initié par Robert Lafont, Jean-Pierre Chabrol et Emmanuel Maffre-Baugé, moment fort de convergence entre communistes, syndicalistes et occitanistes dans le combat pour « Vivre, travailler et décider au pays ». En février 1979, il est parmi les fondateurs de la section régionale Rhône-Alpes de l’IEO où, en compagnie de Bernard Lesfargues, il veut représenter les Occitans de Lyon.
Lors de l’assemblée générale de l’IEO d’Aurillac, les 1er et 2 novembre 1980, J.-M. Auzias est candidat au Conseil d’administration et au poste de Vice-Président à la création sur la liste « Per l’alternativa », présidée par Guy Martin, contre la liste « Per un IEO non dependent » présidée par Patrick Choffrut, qui l’emportera. Dès lors, suite à la division du mouvement, il adhère tout naturellement à l’Association internationale d’études occitanes qui se crée en 1981.
En janvier 1982, il est, dès sa fondation aussi, membre du comité de rédaction de la revue Amiras / Repères occitans jusqu’à son extinction en juillet 1984. Il participe également, au printemps 1982, à la création des Obradors occitans – qui « ont pour objectif de regrouper tous les acteurs et producteurs de la culture occitane » (Programme 1984-1988, p. 2) – et figure comme membre du conseil d’administration, délégué régional pour « l’endefòra » [‘l’extérieur’], poste auquel il sera reconduit lors de l’assemblée générale du 28 octobre 1984.
Militant inlassable, on le voit, J.-M. Auzias est de toutes les réunions importantes où ses interventions suscitent la réflexion et orientent les prises de décision. « Là où trois ou trente ou trois cents occitanistes se réunissent, il est bien probable que vous le trouverez : vous le reconnaîtrez à son verbe et à sa verve », dit de lui Bernard Lesfargues en 1984, en quatrième de couverture du Manjatèmps.
Mais, pour lui, le combat occitaniste passe aussi par le développement de la littérature. Tel est le sens de sa présence active, toujours à côté de Bernard Lesfargues, au sein du comité de rédaction de la revue Jorn (1980-1986) qui entend donner la parole aux auteurs de la nouvelle génération et contribuer ainsi au renouveau de l’écriture en occitan.
Et c’est, bien sûr, son Occitanie natale que convoque le poète Auzias dans ses écrits littéraires, depuis ses débuts avec son Quasèrn grassenc (1971) jusqu’à ses articles de critique sur Bernard Manciet (1996) ou son travail d’écriture avec des lycéens de Nîmes (Colors, 1997).
Toutefois, et c’est sans doute là la spécificité de cet auteur résolument moderne, bien inscrit dans la réalité de son temps, son militantisme occitaniste est inséparable du combat social dont sa poésie se fait l’écho. Si le mot a un sens – et il en a un – on n’hésitera pas à considérer Jean-Marie Auzias comme un poète engagé. Du côté des « prolétaires », de ceux qui ont « tant trabalhat / davant lei forns per lei borgés » (Lo Manjatèmps, « Aiga de cèu »). Assumant sans vergogne un discours anticapitaliste et anticlérical qui dénonce d’un même élan irrévérencieux l’Église complice et les patrons sur leurs yachts à Saint-Trop’ (Lo Manjatèmps, « Lei taulas de la lèi »), un discours émancipateur qui rejoint le combat anticolonialiste et antimilitariste du temps, au Niger comme au Tchad (cf. Lo Manjatèmps, « NIAMEY-N’DJAMENA »).
Le verbe de cet agitateur d’idées, humaniste éclectique, iconoclaste au besoin mais à la maïeutique féconde, n’échappe pas toujours à l’hermétisme, fruit de sa grande culture anthropologique et de sa connaissance intime des grands mythes fondateurs de l’humanité. Mais cette conscience aigüe du tragique de la condition humaine et de son impuissance l’affranchit de tout pédantisme. Et en définitive, c’est la grande sensibilité d’un homme ouvert et généreux, aussi timide qu’expansif, qui perce derrière l’oxymore désaliénant et jovial de ce provocateur de métier.
Notes
Louis ROUQUIER (1863-1939)
Pseudonyme(s) connu(s) : lou Bourret
Louis Rouquier est né à Puisserguier dans l'Hérault, au sein d'une famille Rouergate descendue dans le bas Languedoc pour cultiver la vigne. Il quitte l'école à 13 ans pour travailler la terre comme ouvrier. Mais à 15 ans son goût de l'aventure l'amène à rentrer dans la marine marchande, puis au moment de la conscription dans l'Infanterie de Marine. Après son retour au pays, il devient secrétaire de mairie dans sa commune de naissance.
En 1906, il monte à Paris pour vendre le vin du Midi. En 1912, il retourne à son métier de secrétaire de mairie qu'il exerce à Saint Denis puis à Charenton. Pendant la guerre de 14-18, il devient secrétaire du Comité de Défense Sociale de Levallois-Perret qui aidait les familles des mobilisés dans leurs démarches administratives. Dans le même temps, ses idées sociales l'amènent à rentrer à L'Union Fédérale des locataires de France et des Colonies qui avait pour objet la création de coopératives d'habitations à loyer modéré, ancêtres des HLM, pour faire concurrence aux habitats privés souvent insalubres et aux loyers onéreux.
En 1919, il est élu maire de Levallois-Perret, ville de 70.000 habitants, et conseiller général de la Seine en 1925 ce qui le conduit aux fonctions de vice-président du Conseil Général, de membre du conseil d'administration de l'Institut d'hygiène de la Faculté de Médecine de Paris et du conseil d'administration de l'Office HLM de la Seine. En 1928, il est élu député de la Seine pour une législature. A la Chambre, il s'inscrit au groupe des indépendants de gauche. Il participe aux commissions de l'hygiène, des régions libérées, de l'administration générale. Il demeure maire de Levallois-Perret et conseiller général jusqu'à sa mort en 1939. Selon son désir, il a été inhumé dans son pays natal.
Dès son jeune âge, il parle ce qu'on appelle autour de lui le patois. Au fil de sa vie, il écrit en lengadoussian 1, au début pour rester proche de sa culture puis dans un second temps pour se rappeler de ses origines. On différencie deux périodes dans sa production littéraire ; la première de 1898 à 1905, la seconde de 1922 à 1939.
En premier lieu, Louis Roquier est un auteur de théâtre, de carnavalades, genre théâtral humoristique né à Béziers. Il choisit de faire le portrait de son pays à travers la politique et la vie sociale. A partir de 1922, il publie, toujours en occitan, des comédies et des contes, sans changer de sujet. Le petit peuple, les gens ordinaires de la campagne Biterroise, furent pour lui une source d'inspiration.
Il se lie d'amitié avec plus d'un écrivain languedocien d'expression occitane, comme Paul Moulinier, Antonin Roux, Junior Sans., et Emile Barthe. Il considère Jean Laurès, le vieux félibre de Villeneuve-les-Béziers, comme son père littéraire. Au cours des relations épistolaires avec ces auteurs, il poursuit son œuvre littéraire en leur écrivant des sonnets.
Il est très proche du Félibrige Latin, groupement languedocien, présidé par Alphonse Roque-Ferrier, qui s'oppose à l'hégémonie provençale du Félibrige. On trouve sa participation aux Fêtes de Peyrottes à Clermont l'Hérault où il se produit en déclamant ses contes.
Jusqu'à l'après-guerre de 14-18, sa vie parisienne n'est plus marquée par la même relation avec une association d'auteurs d'expression occitane ; sauf à compter de 1919, lorsque Joseph Loubet crée la Nouvelle Société des Félibres de Paris devenue Les Amis de la Langue d'Oc. Ami de Joseph Loubet, Louis Rouquier figure parmi les membres fondateurs de cette nouvelle association dans laquelle il ne joue finalement qu'un rôle discret en raison de ses charges publiques qui ne lui font pas oublier les écrivains provinciaux comme René Fournier et Georges Reboul.
Il a le goût des coutumes populaires. Il aime les bonnes histoires que l'on raconte dans les veillées. C'est aussi un auteur contestataire qui dénonce le pouvoir absurde, la fraude du vin, la soumission à l'argent et la misère des petits travailleurs. Il mêle même volontiers à ses histoires des réflexions de nature politique, sociale et humanitaire. Rongé par le comportement du monde, il se réfugie dans l'écriture « per poudre s'abéna de bélézos e viure de fumados »2. Il conte comme il parle, la richesse de sa langue a été reconnue par les critiques comme Camille Gandilhon d'Armes et Walther von Wartburg, rédacteur du FEW, avec lequel il est en contact.
Son œuvre recueille des trésors d'expressions et compte des scènes pittoresques de la vie de son époque dans lesquelles il met en scène le petit peuple. Il fait partie d'une génération d'écrivains d'expression occitane sortie de la ruralité, inspirée par des choses simples. Ces écrivains ont été de fins observateurs de la vie et nous ont laissé également un témoignage ethnographique. Louis Rouquier utilise l'humour pour diffuser son parler, pour lui l'occitan ne pouvait pas être la langue de la tragédie, comme en témoignent ces propos :
Ieu, quand sentissi que lou parpalhol nègre me voulastrèjo dins la closco, que la nèblo del desféssi escabournis moun cor e que m'emboutumi, aganti la plumo e galoi coumo la coulico, ensaji de vous faire rire. 3
Au fil de sa vie, il s'est constitué une bibliothèque riche d'un millier de livres dont seulement une partie a pu être sauvée et se trouve actuellement répartie entre la Bibliothèque Universitaire de Lettres de Montpellier et à la Bibliothèque Municipale de Puisserguier qui détient également deux recueils de ses œuvres écrites.
1/ Louis Rouquier, Contes a la Troubilho, chez l'auteur, Levallois-Perret, 1925, p 8 ↑
2/ Louis Rouquier, Countes a l'alhòli, amb un gloussari lengadossian-fransimand de dos milo mots e un retrat de l'autor, E. Guitard, Paris, 1926, p. 2 ↑
3/ Idid ↑
Olga Esthève épouse Criscelli (1857- ?)
Elle est une des premières institutrices d'école publique de filles à Cette (ancienne orthographe de Sète). Nommée le 25 juillet 1878 à l’école du docteur Roux, Olga Esthève naît à Bordeaux le 12 juillet 1857. Elle n'est pas instruite par les congrégations religieuses mais par des professeurs de l'Université. Elle obtient son Brevet élémentaire à Moulins (Allier) le 27 juillet 1874, suivi de son Brevet supérieur et de son Certificat d'aptitude pédagogique à Tulle (Corrèze). Son père, lieutenant d'infanterie et Chevalier de la légion d'honneur, avait sollicité pour elle un poste auprès du Préfet. Elle arrive à Cette à la rentrée de 1878 en provenance de Lunel où elle exerçait depuis janvier 1877. L'école du Docteur Roux est alors située rue des Hôtes (aujourd’hui rue Paul-Valéry) et n'a qu'une classe. L'inspecteur primaire écrit après sa visite le 30 novembre :
« Il est d'usage que les nouvelles écoles soient peuplées par la lie des autres classes… On y trouve un ramassis de jeunes filles venues de je ne sais où : vêtues de haillons, sales, n'ayant aucun des petits objets indispensables à une écolière. »
Olga Esthève y restera jusqu'en 1887, avec bientôt une adjointe, Melle Jammes.
Elle épouse en 1884 un professeur du collège (de garçons), responsable de la classe de 7ème, M. Criscelli. Melle Jammes la suit à l'école Sévigné, rue Pascal, dont elle devient directrice. Elle a déjà deux enfants. L'inspection de mars 1887 lui donne l'appréciation « AB » et la note 6,5/10. L'école Sévigné a inscrit 180 filles dont 127 sont présentes, la fréquentation est irrégulière, la propreté comme la discipline y sont jugées « assez bonnes. »
Des éléments de ce rapport montrent qu'Olga Criscelli participe déjà à la Ligue française de l'Enseignement, l’œuvre de Jean Macé, avec en particulier la création de l’Association des grandes filles de l’école Sévigné, les « Abeilles Cettoises » qu’elle préside.
En 1892, elle obtient une médaille de bronze de l'Instruction Publique. On la voit ferrailler en 1893 avec la Municipalité qui veut supprimer sa décharge de classe, et obtenir satisfaction.
En 1896, année de la Félibrée des Abeilles de Cette, Mme Criscelli habite rue Pascal, à l'école Sévigné et a quatre enfants : Jeanne 14 ans, Joseph 10 ans, Olivier 8 ans et Angelo 2 ans.
Après l'organisation de conférences et de la Félibrée des Abeilles, présidée par l'inspecteur d'Académie, M. Yon, elle recevra diplôme d'honneur et médailles, tant de la Ligue que du Ministère, ce qui lui permettra à la rentrée suivante d'être nommée à Montpellier.
Le 31 Mai 1896, Olga Criscelli est co-organisatrice de « La Félibrée des Abeilles Cettoises » avec J.-H. Castelnau, Cabiscol du Félibrige Cettois et parrain de l’Association des grandes filles de l’école Sévigné. Cette félibrée se tient dans le bâtiment du Stand de tir et de gymnastique « La Cettoise » (qui prendra plus tard le nom de Stand Marty, bâtiment aujourd’hui disparu), sous la présidence d’honneur de Frédéric Mistral et la présidence effective de M. Yon inspecteur d’académie.
Le programme de la Félibrée est édité en français et en occitan. Les deux langues y alternent, sans traduction.
L’intérêt de l’Association pour l’occitan est visible dans les conférences qui ont précédé la Félibrée au cours de l’année. Plusieurs avaient fait une large place à l'occitan, comme celle sur Clémence Isaure, ou celle sur la pêche à « Cette ». Cette dernière est accompagnée par la lecture de la pièce La Sauquena de Pignan de M. Rottner, félibre et l'un des conférenciers les plus dévoués de l'association. J.-H. Castelnau avait fait cadeau de ses propres œuvres bilingues à la bibliothèque de l'école qui a bénéficié de la quête organisée à l'entracte de la Félibrée. Ajoutons l’intérêt que portait à l’Association le Doyen de la faculté des sciences de Montpellier, Armand Sabatier, Directeur de la station zoologique de Cette à la Plagette, pour lequel J-H Castelnau écrit à cette occasion Lou palais de las crancas. Jeanne Criscelli, alors âgée de 14 ans, lit « en lengadoucian » (La Campana de Magalouna juin 1896) un compliment « as Felibres » de la Fête. Le félibre Achille Maffre de Baugé prononce un discours « Du Sens international chez les provincialistes. »
Le félibre Joseph Soulet, qui s’est refusé, avec d’autres, à participer à la félibrée, s’en explique dans une lettre à Mistral : il s'agit selon lui avec celle-ci et les conférences qui l’ont précédée, d’écarter les filles de Cette de l’influence des congrégations « an aquella felibrejada de deganaus e de manja-Bon Dieu. » (Lettre du 31 mai 1896, Camélio 2008 : 99). Notons que Sabatier et Castelnau étaient protestants.
La presse quotidienne, qui couvre largement l'évènement, représente tout le spectre des opinions politiques : Le Journal de Cette, Le Petit Méridional, L'éclair, et pour l’occitan La Campana de Magalouna lui a largement ouvert ses colonnes.
Marguerite Perre, professeur privée de piano d’Avignon et amie de l’occitaniste marseillais Pierre Rouquette avec lequel elle partage en particulier un catalanisme militant.
Marguerite Perre est l’élève de Blanche Selva, musicienne réputée, disciple et amie de Vincent d’Indy et de Deodat de Séverac qui lui fait partager ses idées régionalistes, car elle se dit « catalane de race » et vit de 1926 à 1936 à Barcelone.
Marguerite Perre est présente à la Journée musicale en l’honneur de Blanche Selva qui a lieu le 30 août 1926. Cette manifestation, à laquelle participent de nombreux élèves professeurs venus de pays divers, est une démonstration de l’enseignement de Blanche Selva dans son domaine du Mas del Sol, près de Brive (école d’été auquel Melle Perre a peut-être participé), suivie d’un concert au théâtre de Brive. Cette journée fait partie des manifestations demandées par la municipalité de Brive, en accord avec la Fédération Régionaliste de France, à l’occasion de son Congrès régional à Brive (28 août- 3 septembre).
En 1934, elle effectue un voyage à Barcelone. À l’Académie de Musique elle rencontre Joan Llongueres, une connaissance de Pierre Rouquette. Avec ce dernier, elle envisage l’année suivante de réaliser « une traduction du catalan au français du livre de Blanche Selva sur les Sonates de Beethoven ».
En 1939, elle se repose à St Barthélémy-le-Pin (Ardèche). Elle lit alors La Legenda d’Esclarmonda. Cette œuvre en occitan de Valèri Bernard, (publiée en 1936 par la Societat d’Estudis Occitans et imprimé à Barcelone par l’Oficina de Relacions Meridionals de Josep Carbonell), l’« emballe beaucoup ».
Lorsque Pierre Rouquette organise en 1938 à Marseille le Comité de Secours aux Intellectuels Catalans, Marguerite Perre participe à l’œuvre. Elle donne son obole, puis logera à son domicile en Avignon, 15, rue Banasterie, entre 1940 et 1942, le sculpteur catalan en exil Enric Casanovas (1882-1948). En effet, Pierre Rouquette accueille des intellectuels républicains qui ont fui la dictature de Franco ; il leur sert de boîte aux lettres et centralise les informations de la communauté dispersée. Ainsi le poète Carles Riba et sa famille sont logés un temps à Marseille chez les demoiselles Tellier et Guiot. Grâce à Pierre Rouquette, Marguerite Perre fait ainsi la connaissance d’intellectuels catalans, comme Francesc Trabal. Josep Pous i Pagés ou Carles Riba. Elle gardera contact avec certains ou demandera de leurs nouvelles.
Louis Gros, provençaliste et imprimeur typographe chez Aubanel à Avignon, écrit à son ami Pierre Rouquette le 29 décembre 1941 : « ai travaia a uno charradisso que Mademisello Perro me demandavo per un groupamen souciau feminin ». Nous n’en savons pas plus. Cette information pourrait suggérer de la part de la musicienne un engagement civique.
Pierre Rouquette, qui a animé une section provençale de la Societat d’Estudis Occitans (SEO) avant la guerre, fonde et dirige à la Libération le Centre d’Etudes Provençales du nouvel Institut d’Estudis Occitans (IEO) plus tard appelé Centre Provençal d’Etudes Occitanes. Il conçoit le Centre comme une institution de caractère universitaire fédérant des groupes d’études provençales dans les domaines les plus divers : langue occitane d’abord, mais aussi histoire, civilisation, droit, art, musique, folklore… destinée à donner corps à une culture occitane globale porteuse d’avenir, en s’inspirant de l’exemple de la Catalogne. Dans cet esprit, il a le projet d’un « Concert de musique occitane, par Marguerite Perre », parmi les manifestations prévues par le Centre Provençal pour l’année scolaire 1945-46. Le secrétaire général de l’IEO, Ismaël Girard, dans sa présentation de l’IEO rédigée le 29 octobre 1945 (7 pages multicopiées), fait état du projet.
La correspondance avec Pierre Rouquette nous informe par ailleurs de deux interventions de la musicienne en 1945. Elle illustre au piano une conférence sur Chopin. En 1945 elle participe à la fête provençalo-catalane qui a lieu à Saint-Rémy le dimanche 30 décembre. Cette manifestation de fraternité est organisée par le peintre catalan réfugié Franch-Clapers. La professeure de musique y interprète notamment des sardanes et dirige une chorale d’enfants chantant des chants provençaux (pour cela elle sollicite Pierre Rouquette pour qu’il traduise certains chants du catalan en provençal).
Le projet musical prévu en 1945 se concrétise deux ans plus tard par un « Récital de Piano donné par Mademoiselle Marguerite Perre, le Mardi 6 Mai 1947, 15 Rue Edouard-Delanglade, Marseille » sous l’égide de l’ «IEO Centre Prouvençau ». Le récital fait la part belle à Vincent d’Indy, tandis que Lluis Millet, Joan Manen, J. Garreta, Enric Morera, Olivier Messiaen (né à Avignon en 1908), Déodat de Séverac, Gabriel Fauré et Emmanuel Chabrier complètent cette soirée régionaliste.
En dépit de la minceur des sources - essentiellement la correspondance reçue par Pierre Rouquette – s’esquisse le portrait d’une musicienne régionaliste, femme de progrès, qui apporta sa contribution à la vie culturelle occitane.
France Karine, est professeure privée de musique, diplômée de l’École Normale de Musique de Paris. Son nom d’artiste est Mytyl Fraggi.
Proche des Amis du bulletin Occitania en 1938-1939, elle est ensuite membre du Centre Provençal de Culture Occitane (section de l’IEO) à partir de 1945.
En 1938, France Karine participe à la Deuxième concentration de Culture et de Fraternité Provençales, qui se tient à l’« Auberjo de Jouinesso de Marsiho-Alau », à Allauch, Place Pierre Bellot, du samedi 17 septembre au samedi 24. Cette réunion est organisée par Jorgi Reboul, Père aubergiste, fondateur (le 26 septembre 1936) et animateur de l’Auberge de Jeunesse, affiliée au Centre Laïque des Auberges de Jeunesse.
Le vendredi 22 septembre, à la suite de l’excursion en car à la Sainte-Baume, est proposée une « Veillée sur la Terrasse : La Musique et le Peuple, par FRANCE KARINE, Directrice de la Chorale Populaire. Audition de disques ».
France Karine participe également à l’animation de la Troisième concentration de Culture et de Fraternité Provençales. Pâques 1939, du samedi 8 au mardi 11 avril, qui est en même temps le Congrès organisé par le journal Occitania.
France Karine, directrice de la Chorale Populaire, appartient au milieu progressiste des intellectuels et artistes marseillais. Sa participation aux rencontres d’Allauch prouve une sensibilité provençale, voire un engagement occitaniste. Elle a sans doute participé au Comité d’Aide aux Intellectuels Catalans, fondé à Marseille le 7 avril 1938 par Pierre Rouquette et Jorgi Reboul car son nom figure sur la liste manuscrite établie par Pierre Rouquette des personnes à inviter à la réunion du Comité du 30 août 1938 au domicile de Jorgi Reboul, sans que nous ayons la certitude de sa participation.
À la Libération, France Karine dirige la Chorale du Front National et fait partie de l’Union Nationale des Intellectuels – UNI –, structure unitaire fondée à la Libération, encadrant les activités culturelles. Pierre Rouquette, qui a animé à Marseille une active section de la Societat d’Estudis Occitans (SEO) avant la seconde guerre mondiale, fonde et préside le Centre Provençal de l’Institut d’Estudis Occitans, (qui deviendra autonome dans les années 70, quand la section régionale de l’IEO sera assumée par lo Calen). L’assemblée constitutive a lieu le dimanche 14 octobre 1945 dans les salons de l’UNI, 15 rue Edouard Delanglade. Le président sollicite alors France Karine pour que la Chorale se produise à la séance inaugurale en interprétant des chants occitans, choisis par lui, et qu’elle doit apprendre à ses choristes. Ainsi Coupo Santo (à 4 voix), Lou Bastimen, Lou Renegat (Jan de Fonfaron) ont dû faire partie du répertoire le 15 novembre. France Karine et sa chorale interviendront pour d’autres manifestations du Centre Provençal, ainsi le 19 février 1946 pour la causerie de Pierre Rouquette sur les « Noëls de Saboly ».
France Karine est l’épouse d’Alexandre Jouvène, qui tient une galerie Tableaux anciens et modernes à Marseille, Expert près les tribunaux et les Cies d’Assurance. Comme France Karine, Alexandre Jouvène est affilié au Centre Provençal de l’IEO à son origine : c’est lui qui a envoyé – et non le Président Pierre Rouquette empêché par la grippe - l’invitation à l’Assemblée constitutive du Centre pour le 14 octobre 1945, signée par « un membre de la Commission », Alexandre Jouvène, sur papier à en-tête « Tableaux anciens et modernes Alexandre Jouvène ». En l’état actuel de la documentation, nous ignorons si l’engagement occitaniste du couple s’est poursuivi.
Lydie, Marie, Fanny Wilson naît le 10 avril 1850 à Paris rue Chevalier du Guêt. Son père, Édouard, d’origine écossaise, est commissaire en marchandises, sa mère, Élise Joséphine Margée d’origine flamande, sans profession. Lydie est l’aînée de trois enfants, elle a une sœur, Jeanne, née en 1852 et un frère, George, né en 1855. Elle est baptisée catholique en l’église Saint-Germain l’Auxerrois à Paris.
Voisine des Ricard, elle participe au salon de la Générale et assiste à la création du mouvement poétique « Le Parnasse Contemporain », dont son mari est, avec Catulle Mendès, le co-fondateur. Elle fait ensuite un séjour de deux ans en pension en Angleterre à Keniworth dans le comté de Warwick. Amie d’enfance de Louis-Xavier de Ricard (1843-1911), celui-ci lui dédie en 1863, alors qu’elle n’a que 13 ans, un poème « Fantaisie Panthéiste » dans la Revue du progrès.
Après la Commune de Paris à laquelle il participe et au retour d’un exil en Suisse, leur relation devient amoureuse et ils se marient civilement le 16 Août 1873 à Autouillet, près de Montfort l’Amaury (aujourd’hui dans les Yvelines) où la famille de Lydie a une résidence secondaire. Le couple s’installe quelques mois après dans le Midi, d’abord à Montpellier, puis au Mas du Diable, à Castelnau le Lez, ensuite à nouveau à Montpellier mais dans le quartier excentré du Plan des Quatre Seigneurs dans une villa qu’ils ont baptisée Mas de la Lauseta.
Atteinte de tuberculose, maladie qui ne porte pas encore de nom, comme sa sœur qui meurt en 1877 à Montpellier, elle vit ses derniers mois à Paris près de sa mère mais, selon sa volonté, elle est enterrée civilement à Montpellier, à une époque (1880) où ces obsèques étaient un engagement républicain et faisaient encore scandale. Un hommage lui est rendu au cimetière Saint Lazare par les socialistes Ernest Jourdan et Antide (Antoine) Boyer. Son engagement républicain se retrouve dans ses lettres à Fourès comme dans ses œuvres françaises.
C’est à Montpellier qu’elle découvre tout à la fois la langue du Midi et ses paysages. Elle bénéficie pour son apprentissage des conseils d’Auguste Fourès et de Charles de Tourtoulon. Présente en 1876 et 1877 à la Santo Estello, elle est membre du Félibrige dès 1876. Elle participe avec son mari et Auguste Fourès à la création du Félibrige languedocien républicain appelé par la suite « Félibrige rouge », à l’édition de leur Almanach La Lauseta pour 1877, 1878 et 1879. Elle est présente dans la Revue des langues romanes dès 1877, 1878 et 1879 et dans l’Almanac de lengadò de 1877. Elle obtient le premier prix du sonnet avec son poème « A la mar Latina » aux Fêtes latines de Montpellier en mai 1878, tout en participant aux préparatifs du banquet de l’association fédéraliste l’Alouette, dont le Président d’honneur est Victor Hugo, au Faubourg Figuerolles.
Elle est présente aux réunions du Félibrige, de l’association des Langues Romanes, à la première Cour d’Amour de l’école du Paratge de Montpellier, à Font-Froide. Elle est également, avec son mari, à l’origine de l’association La Cigale de Paris ; une de ses œuvres a paru dans le volume de l’association en 1880.
Elle laisse une œuvre en français et en occitan publiée par son mari en 1891 sous le titre Aux bords du Lez, rééditée en 1995 chez Lacour à Nîmes. Elle entretient une correspondance importante notamment avec Auguste Fourès, son parrain en Félibrige, amoureux de sa sœur Jeanne, qui dédie aux deux sœurs de nombreux poèmes. La correspondance confirme que Lydie a bien appris le languedocien, dialecte de Montpellier, même si ses premiers textes semblent avoir été traduits soit par Fourès soit par Arnavielle. Les lettres témoignent aussi de son engagement républicain et féministe. En tant que marraine du nom de la revue La Lauseta elle inspire un certain nombre de poèmes portant ce titre, signés Charles de Tourtoulon, Langlade, Djan de la Djana… Sa « Migrana », dont au moins trois versions existent en Français, a inspiré le seul poème en occitan de Napoléon Peyrat : « A Dona Graciorella Milgrana Felibressa de La Lauseta. » Elle échange des poèmes avec la gardoise Léontine Mathieu-Goirand (1853-1923) qui dédie à elle et à sa sœur un certain nombre de poèmes.
Une biographie plus complète et la majeure partie de la correspondance échangée par Lydie Wilson de Ricard avec le poète Auguste Fourès, les extraits de lettres publiés en 1896 dans le Montpellier Républicain par Louis-Xavier de Ricard sont maintenant disponibles sous le titre Lettres de la félibresse rouge, avec une reprise de celle adressée à Mistral par la félibresse et que Jean-Marie Carbasse avait publiée avec celles de son mari en 1977. D’autres lettres de la Félibresse rouge sont encore à rechercher et découvrir notamment celles échangées avec Théodore Aubanel.
Louis-Xavier de Ricard (1843-1911)
Né à Fontenay-sous-Bois où son père, général, est en garnison, Louis-Xavier de Ricard a dès son premier livre Les Chants de l’aube, paru à Paris chez Poulet Malassis en 1862, qualifié Mistral d’«homme de génie» et Mirèio de «plus beau poème champêtre qu’on ait fait depuis les anciens ». Ce livre le montre déjà également albigéiste.
Sa famille paternelle est originaire du Midi, et c’est dans la région de Montpellier qu’il décide de s’installer avec sa femme Lydie Wilson de Ricard quelques mois après leur mariage. Il revient alors d’exil en Suisse après avoir participé à la Commune de Paris, et auparavant cofondé avec Catulle Mendès à Paris le mouvement poétique Le Parnasse Contemporain.
Avec Auguste Fourès rencontré en 1876, au moment où le poète audois choisit d’écrire en occitan, ils font passer le Rhône au Félibrige, formant un félibrige languedocien, républicain et fédéraliste. Il est alors en opposition avec les idées de Mistral comme le montre les lettres à celui-ci publiées par Jean-Marie Carbasse en 1977. Celles-ci montrent également que leurs relations se sont poursuivies toute leur vie. Fédéraliste de conviction, Louis-Xavier de Ricard a publié en 1877 un ouvrage intitulé Le Fédéralisme qui a pour cadre la région Montpelliéraine. Ceux que l’on appelle « Les félibres rouges » ont publié trois almanachs La Lauseta, entre 1877 et 1879, où ils ont rassemblé les textes des félibres républicains et des peuples latins. Après la mort de Lydie Wilson de Ricard en 1880, un dernier numéro paraitra à la demande de Ricard sous la seule responsabilité de Fourès.
Félibre et fédéraliste, partisan de l’union des peuples latins tout au long de sa vie, Louis-Xavier de Ricard a été proclamé en 1888 Majoral du Félibrige (Maintenance du Languedoc), Cigale de Cleira ou de l’Orb dont Gabriel Azaïs était le premier titulaire.