Texte de la conférence donnée par Pierre-Joan BERNARD, historien et archiviste, le 9 octobre 2024 à l'occasion du 17e colloque Histoire et Cultures en Languedoc.
Depuis 2008, l'association "Histoire et cultures en Languedoc" organise chaque année les Rencontres Internationales du Patrimoine Historique.
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L’histoire des XIIe et XIIIe siècles en Languedoc se présente comme un miroir à plusieurs facettes que l’on promène dans un intervalle spatio-temporel, et dans lequel la vie de Marie de Montpellier sera notre fil conducteur. En effet, Marie s’inscrit dans la lignée des hautes figures féminines occitanes qui va d’Almodis de la Marche (1023-1071), comtesse de Barcelone, puis de Toulouse à Ermengarde, vicomtesse de Narbonne (1127-1196). Aux XIIe et XIIIe siècles, on voit se développer un mouvement occitano-ibérique basé sur une ouverture culturelle et philosophique appelée Convivéncia, proche de ce que nous appelons aujourd’hui : Altérité. De cette mouvance naîtra la « Civilisation des Troubadours ».
Marie de Montpellier grandît à la cour de son père Guilhem VIII, une cour brillante et lettrée où se produisent de nombreux troubadours. Montpellier est alors une ville marchande dynamique où règne un climat libéral et de tolérance, et où chrétiens, juifs et musulmans de tous pays se côtoient. Mais l’historiographie nous montre d’autres faces du miroir comme une sorte de « tourneboule » de conquêtes, de reconquêtes, d’usurpations. Sortons du pré-carré languedocien…
Le pape Urbain II, au concile de Clermont-Ferrand prêche, ce qui va donner lieu à deux expéditions en Terre Sainte, pour assurer la sécurité des pèlerins. Ce sera d’abord, la « première croisade », de 1096 à 1099. Elle se solde par la prise de Jérusalem et la création des Etats latins d’Orient. Les croisades, au nombre de quatre pour la période qui nous intéresse se succèderont jusqu’en 1204. La dernière prêchée par Innocent III est détournée de son but originel par les Vénitiens et verra le sac de Constantinople. D’autres croisades suivront jusqu’à Saint Louis.
Marie de Montpellier est née du mariage de son père Guilhem VIII avec Eudoxie, princesse byzantine après un épisode digne d’un film de cape et d’épée. Pauvre Eudoxie promise au frère du roi Alphonse d’Aragon qui, le temps du voyage de la princesse, en épouse une autre. Eudoxie termine son voyage à Lattes où Guilhem VIII, pour clore l’incident diplomatique l’épouse. De l’autre côté des Pyrénées, les royaumes chrétiens ibériques tentent de s’organiser pour reprendre les territoires musulmans d’Al Andalus.
C’est la Reconquista qui s’achèvera en 1492 par la chute du royaume de Grenade. Cette reconquête fut sporadique, discontinue, au gré des alliances internes. La première grande victoire de cette entreprise est en 1212, la victoire de Las Navas de Tolosa, près de Jaén, contre les Almohades, menée en partie par Pierre II, roi d’Aragon que Marie avait épousé en 1204.
La vie de Marie bascule après la mort de son père en 1202. Le pape Innocent III déclare nul le second mariage de son père, et, illégitimes, ses enfants. Marie se retrouve à la tête de la seigneurie de Montpellier. Bonne augure pour Pierre II qui s’empare des biens de son épouse, sans ménagement. Mais c’était méconnaitre le courage et la ténacité de Marie à faire valoir ses droits et ceux de son fils, le futur Jacques le Conquérant. Si nous nous projetons au coeur du Languedoc, une autre croisade anéantira le territoire, c’est la croisade contre les Albigeois qui commencera par le sac de Béziers en 1209 et se terminera, en 1229, par le Traité de Meaux-Paris, conclu par Blanche de Castille, et qui marquera la disparition du comté de Toulouse.
Avec cette croisade, le paradigme change. On ne tuera pas l’infidèle mais l’hérétique, sous le nom de « cathare ». Prévaut alors l’intolérance, qui sous couvert de la foi anéantira, à des fins de conquêtes territoriales et politiques, le Languedoc. Un épisode crucial sera la défaite de Muret en 1213, où sera tué Pierre II, mais Marie l’aura précédé de peu dans la mort. L’esprit de tolérance et de partage, caractéristique des pays d’Oc, qui avait côtoyé Al Andalus, durant plus de quatre siècles, en sera profondément troublé.
Désormais, un nouvel ordre géopolitique se met en place : le pouvoir royal français qui vient d’annexer la partie centrale des Pays d’Oc, devra affronter le puissant royaume d’Aragon-Catalogne, pour le contrôle de la Méditerranée. Mais c’est une autre histoire…
Maguy Chapot-Blanquet, Docteur en sciences humaines
Support de présentation de la conférence Francèse de Cézelli et le siège de Leucate par Pierre Etcheto, membre de l'association Archéo-Cartographie Toulouse, donnée le 7 octobre 2023 dans la ville de Leucate à l'occasion du 16e colloque Histoire et Cultures en Languedoc.
Texte de la conférence Françoise de Cezelli, de Montpellier à Leucate par Pierre-Joan BERNARD, historien et archiviste, donnée le 7 octobre 2023 dans la ville de Leucate à l'occasion du 16e colloque Histoire et Cultures en Languedoc.
Depuis 2008, l'association "Histoire et cultures en Languedoc" organise chaque année les Rencontres Internationales du Patrimoine Historique.
Avec le soutien de la Région Occitanie Pyrénées Méditerranée, du CIRDOC - Institut occitan de cultura, de la ville de Leucate, de la Société Archéologique de Montpellier et de la Confrérie des Consuls de la Seigneurie de LEUCATE.
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La frontière définie au Traité de Corbeil (1258) entre Louis IX, roi de France et Jacques 1er, roi d’Aragon n’est pas un linéaire continu, mais un no man’s land aux marges contestées. On peut dire que la limite entre les deux royaumes reste floue et peu lisible, conséquence de nombreux conflits. Saint Louis organisera sa frontière en forteresses de dissuasion autour de Carcassonne, ce seront : Aguilar, Peyrepertuse, Puylaurens, Quéribus, Termes. La géographie tourmentée des Corbières appuie leur rôle dissuasif. Ces forteresses du vertige, selon Michel Roquebert sont pour la plupart d’anciens châteaux refuges des cathares tombés lors de la croisade contre les Albigeois. Au traité de Corbeil, le Roussillon et la Cerdagne sont laissés à l’Aragon ; il faudra donc établir une forteresse pour protéger l’ouverture sur la Méditerranée, ce sera Leucate face à Salses l’aragonaise.
Leucate connaît un épisode majeur lors des guerres de religion dans le Languedoc. L’Édit de Nemours marque la cassure du Languedoc entre deux fractions irréductibles. L’une, fidèle à la Ligue, implantée dans la partie Ouest, ayant à sa tête le maréchal de Joyeuse, alliés aux Espagnols, qui rejette l’idée de reconnaître Henri de Navarre comme successeur d’Henri III. L’autre, à l’Est, sous le gouvernement du Duc de Montmorency, partisans du roi de Navarre. La limite des territoires est établie entre Béziers et Narbonne, mais dans les faits il n’en est rien. L’espace frontalier entre Narbonne et l’Espagne est trop stratégique. Montmorency ne va pas l’abandonner à la Ligue et Joyeuse a besoin des liaisons sûres avec le roi d’Espagne qui fournit troupes et subsides. La guerre permanente dans cet espace nous conduit aux deux sièges de Leucate.
En 1589, les Espagnols, alliés de la Ligue viennent assiéger Leucate. Il s’en suit l’exécution du gouverneur de la place, Jean du Barry. Françoise de Cezelli, son épouse prend la tête des défenseurs et résiste aux Espagnols. Reconnaissant son exploit, Henri IV la chargera de gouverner la place jusqu’à la majorité de son fils Hercule. En 1637, les Espagnols échouent pour la seconde fois à prendre Leucate. L'histoire est cruelle pour la brave citadelle.
Le traité des Pyrénées est signé le 7 novembre 1659 et met fin à la guerre de trente ans par le mariage de Louis XIV avec l’infante d’Espagne, Marie-Thérèse. En 1664, sur ordre du roi, le château est détruit, son inutilité décrété. De son histoire, que reste-t-il ? Quelques vestiges, témoins de son importance et de la présence de l’héroïne du lieu. Alors, qui est Françoise de Cezelli, passée sous silence par de nombreux historiens ?
Elle naît à Montpellier en 1558 et y meurt le 16 octobre 1615. Son père, Jean de Cezelli, comte de Mauguio et président de la chambre des comptes de Montpellier appartient à la lignée des marchands ayant fait fortune. Précisons que Montpellier est une cité en mouvement, où le moteur est la réussite dans les affaires. Rien de surprenant à ce que Jean de Cezelli marie sa fille Françoise, en seconde noce à Jean Antoine de Boursier, seigneur de Barri. Ainsi commença l’histoire de la « Dame de Leucate ».
Pour conclure, revenons au titre de l’exposé : En quoi « la frontière est une cicatrice de l’histoire » ? Depuis les limes romaines ou les marches franques, la frontière est un marqueur spatial d’une différence sémantique et d’une forme de construction territoriale. Cette démarcation a évolué. Au Moyen Âge, la territorialité est marquée par les lieux stratégiques de pouvoir, tels des noyaux polynucléaires, pour exemples : les forteresses de Saint-Louis. Au XVIIe siècle, Richelieu, puis Mazarin envisagent des frontières naturelles pour la France (Pyrénées, Rhin…) Le traité des Pyrénées légitime cette revendication : « Remettre la France où était la Gaule ». Le mythe est repris par la monarchie, par la Révolution et par la République. On parle d’Hexagone, figure géométrique par excellence pour traduire stabilité, perfection, harmonie. La création de l’Union européenne marque la suppression des frontières, c’est une nouvelle cicatrice. Nous ne pensons plus en terme de structure mais de flux.
Maguy Chapot-Blanquet
Docteur en Sciences Humaines
Notes sur l'édition :
Cet ouvrage numérique a été établi à partir du contenu du site internet réalisé par Denys Eissart : www.cardenal.eu
La mise en forme du document a été réalisée par l’administrateur du site, M. Didier Grange, elle date de 2022. Elle répond à un besoin de pérenniser le travail accompli par son auteur mais aussi d’en faciliter la consultation.
Denys Eissart, à propos de son travail :
« Si Pèire Cardenal est considéré, par de nombreux commentateurs, comme un des plus grands écrivains du Moyen Age occidental, l'accès à ses oeuvres par le grand public reste très restreint. Ce constat est une des raisons qui ont entraîné la création de ce site.
[...]
Cette nouvelle version française ne prétend nullement faire oublier la précédente [celle de René Lavaud]. Elle a surtout été pour son auteur (ici seulement un peu "auteur") l'occasion d'un immense plaisir littéraire, celui de "rentrer" dans un texte superbe, autrement et sûrement mieux que par la simple lecture ; celui aussi de s'imprégner d'une langue expressive et d'une civilisation remarquable et de renouer ainsi avec son occitanité.
[...]
Souhaitons que son existence permette une meilleure connaissance du grand poète médiéval, injustement oublié. »
Ces extraits sont tirés des vues 224-226 du présent document.
Texte de la visite conférence Patrimoine civil médiéval et cité marchande par Aymeric Kurzawinski, guide conférencier, donnée le 3 octobre 2021 dans la ville de Figeac à l'occasion du 14e colloque Histoire et Cultures en Languedoc.